jeudi 14 décembre 2023

Je vais dans le bus voir la Caf. c’est une après-midi d’hiver. hiver ensoleillé. hiver marseillais. hiver avec soleil éclatant quand même. hiver qui contraste avec le froid par le soleil. le froid et le soleil à la fois. comme des cris silencieux. dont on aurait l'idée que en voyant le silence. dont on ne ferait pas la disctinction avec le silence. je vais dans le bus. on est assez serrés. les gens sont tous pas blancs. il y a pas trop de blancs ici à part moi. c’est tout un pan de la france que je ne connais pas bien. toutes les communautés. un côté ségregation car c’est eux qui prennent les bus minables. on pense à la ségregation et sent qu’on ne voit pas tout, tous ces gens. que cette conscience qu’on ne voit pas tout est justement cette conscience, car il ne faut pas forcément tout voir mais que le mot ségregation nous passe dans la tête, même s’il n’est pas le meilleur peut-être. je vais à la caf car je suis à -40 euros. ‘m’ont toujours pas versé le rsa. et l’autre type qui m’avait fait chier ce matin, à me faire passer pour un profiteur. j’me suis cassé le cul à défendre sa retraite pendant mon rsa, et eux ils m’insultent. « heureusement qu’y’a papa-maman », j’ai entendu. et l’autre qui me pose des questions sur à quel point j’ai jamais travaillé, avec un air sévère. qu’ils aillent crever ces boomers. c’est le matin mais il me dit « tu vas faire comme si c’était le soir et me dire bonsoir ». je dis « ok ». Il se met à me vouvoyer. Alors Victor Bonsoir. Moi : Oui bonsoir. Déjà il avait l’air énervé que je sois en retard. On aurait dit une autre personne. Pourquoi ils vouvoient, les journalistes. Alors vous avez un problème avec le travail c’est ça ? Hm bah pas vraiment non, il se trouve juste que je n’ai pas beaucoup travaillé. Si c’est intéressant je veux bien travailler. Mais souvent ça ne m’intéresse pas. La question c’est que je me sens parfois plus joyeux sans travailler. ça s’arrête là. J’dis pas que ça va contre mon libre-arbitre, que ça attaque ma liberté. Juste que ça me rend moins joyeux que rien faire parfois. J’ai rien à dire sur le travail sinon. Il dit et vous m’avez dit sinon que vous dessiniez et que vous militiez ? Oui c’est ça. Je lui dis j’essaye d’écrire parfois et parfois je dessine des têtes. Je dessine des têtes des gens quand je suis au café avec des amis par exemple. Voilà mon travail. C’est comme ça que j’occupe mon temps en tout cas. comment on occupe le temps on dirait qu’on montre le fruit de notre travail quand on dit ça. Puisque le temps c’est de l’argent,. On montre comment on en gagne malgré tout, comment on en donne à la société. On est obligé de parler comme ça, de penser à son avenir, aussi. J’veux prouver ni l’utilité de travailler ni l’utilité de pas travailler. Je veux en finir avec l’utilité. Voilà. Ok merci Victor. Aurevoir merci. J’suis dans le bus. Il y a un bébé dans une pousette. Un bébé indigène, ça me fait penser aux palestiniens. Le sourire monte, l’émotion. Je me dis que le bébé c’est pas que parce qu’il est bébé que je l’aime. C’est parce qu’il représente tous les adultes, qu’il représente tout un peuple. Ce n’est pas un petit bambin angélique décorellé de sa famille. De la famille qui a mis un espoir en lui. Les bébés qu’on sauve en Palestine, ou qu’on tue, c’est des futurs combattants, des résistants. C’est pour ça qu’on demande de les sauver, parce qu’ils sont l’espoir de tout un peuple. Je me demande pourquoi les gens font des enfants. C’est mettre beaucoup d’espoir dans la suite. Quelque chose nous lie à l’enfant qui est pragmatiquement utile. Il assurera la continuité de cette humanité, et de notre vie aussi, donc. On se met dans un travail. On aurait envie de sourire béatement devant un enfant. C’est vrai que c’est un miracle. Car pour nous c’est au-delà de tout le reste. Mais à la fois il ne faut pas sourire trop. Je pense à un père qui ne sourierait pas trop. Il aime l’enfant dans son coeur, et sa façon de sourire, c’est de rester sérieux. Il sait que l’enfant c’est comme un devoir, une responsabilité. Que le bonheur qu’il nous donne c’est pas une émotion à un moment M, mais tout un travail. Il est heureux à sa manière, en travaillant pour l’enfant. Faire un enfant c’est affirmer qu’on veut continuer l’humanité, mais à la fois c’est voir l’humanité et l’espoir comme un travail. Et il faut rester sérieux. C’est notre manière d’aimer l’enfant. On travaille pour l’enfant, qui nous guide. Et à la fois cet enfant est tout notre peuple, c’est matériellement notre survie. c’est nous. donc puisque c’est nous on ne doit pas se réjouir trop vite, et prier pour lui comme on oeuvre pour lui, comme on travaille pour lui. Quand les enfants palestiniens se font attaquer je vois l’horreur de s’en prendre à des innocents, mais à la fois je vois surtout l’horreur de s’en prendre à la Palestine toute entière, avec les femmes, avec les hommes, parce que leur enfant c’est leur projet, c’est leur projet pour continuer à vivre. sous les bombes on se demande pourquoi ils continuent à faire des enfants. l’absurdité de la vie nous apparaît. On s’en occupe alors que c’est la fin du monde. On s’en occupe parce que c’est la fin du monde, le sens de la vie c’est de ne pas voir de sens mais de travailler quand même, dans un sens toujours en invention. J’ouvre un livre dans le bus. Le « Plan B » de Chester Himes. Un couple noir trouve une kalach. La meuf dit putain c’est le soulèvement on va niquer les blancs avec ça. Où ça le soulévement le mec dit. Elle dit bah ici du con. Je me perds dans les lignes. Je passe sur des passages puis reviens en arrière. La lecture je l’ai souvent faite comme ça, en allant trop vite, puis en revenant. Il faudrait pas voir ça comme un truc linéaire. Le sens apparaît comme par en-dessous. Comme un bloc de sens, qui n’est pas linéaire. Tu reviens en arrière, tu relis plusieurs fois la même phrase. J’ai toujours été touché par ces livres où les phrases n’étaient pas linéaires. Mais au sein même de la phrase il y a des cassures. Il y a moyen de revenir dessus, la relire. La phrase n’a pas trop de sens, il ya des répétitions dedans, des cassures. L’oeil fatigué balaye la page puis revient. Ou il passe tout un passage. Lit un passage en plein milieu d’une librairie, aussi rapide qu’un tweet, puis s’en va. Je pense aux textes. Leur espèce d'aplatissement de tout. Leur espèce de paix. Leur espèce de confort aussi. C'est comme une chambre. Une chambre belle, bien meublée et astiquée. On y voit toute l'émotion des gens qui y vivent. Car c'est un ordre qui est comme une prière pour l'extérieur. Pour la rue, pour se rappeler de l'horreur, de tout ce qui n'est pas en ordre. ça révèle le désordre, par l'ordre. ça se et en connexion avec le désordre, par l'ordre. Les romans c’est le plaisir des choses qui passent. Même si elles ne passent pas tant que ça. C'est que des cassures dans le mouvement. On surfe avec nos yeux sur les phrases. On voit les mots qui s’enchaînent, mais c'est des cassures qui s'enchaînent. Les trucs comme des meubles, une voiture. Des voix par-ci par-là. Toute une musique. Mais c'est une musique sans temps, sans musique, en fait. Moi j’ai jamais été trés roman mais de plus en plus ça m’intéresse. Car ils surjouent la vie pour en montrer un aspect. Or la vie n'est pas la vie, elle sera elle-même modifiée par le récit qu'on en fait. C'est du surjeu pour révéler un autre surjeu. Et les deux surjeux se répondent. Je range mon livre dans ma poche. Je m’arrête à l’arrêt Gibbes. Gibier. Gibbes Moretti. Je vais dans une rare boulangerie dans ce quartier à bars d’immeubles. J’imagine les gens qui habitent là. Toute cette vie que je devine qu’un peu. Toutes ces habitudes, toutes ces histoires. Je colle un autocollant free gaza sur un poteau. Avec une colombe. dans la boulangerie la dame me sauve en me souriant. C’est un sourire qui sauve qu’elle a. Si elle connaissait mes problèmes elle les résoudrait. Mais Je ne connais pas moi-même mes problèmes. C’est comme l’enfant, c’est pas une solution, c’est un beau problème en plus. On a juste l’idée que ça pourrait sauver. Si on avait su ce que ça voulait dire. Ce dont on a envie c’est de remplir de sens. Je lui dis je vais vous prendre une part au fromage s’il vous plaît. chauffée ? Oui un peu merci. Voilà Merci. Merci beaucoup à vous. J’exagère sur le merci beaucoup. Aurevoir. Mais c’est pour se jouer l’idée qu’on se sauve. Si on savait nos problèmes on se serait sauvés. Et puis l’idée qu’on a des problèmes. Qu’il y a problème et solution, que les deux ne sont pas mêlées dans une sorte de travail, comme on se force à ne pas trop être gaga devant un enfant, mais à le voir comme un futur adulte déjà. Inclu dans le monde entier, inclu en nous, dans un travail silencieux où il n’y a pas une solution et des problèmes, mais où les problèmes sont aussi une source de joie. En ce moment j’ai un problème de honte. C’est une souffrance qui ne vient pas de l’extérieur. C’est une souffrance à l’intérieur. Parce que au sein de cette souffrance il y a quelque chose qui fait dire que c’est sa faute. C’est la pire souffrance. Si on avait identifié l’ennemi, ça serait mieux. Or là c’est peut-être nous l’ennemi. L’ennemi pour nous, l’ennemi pour la société. Et on s’en veut. ça me fait penser à ces palestiniens qui se font tuer. Ou ces juifs dans les camps. Il y a forcément des moments où ils ont du s’entretuer. C’est là ce qui fait le plus mal. Au sein de leur domination ça a atteint quelque chose chez eux, ça les a fait devenir barbares. J’ai mal parlé la dernière fois. Enervé parce que je trouve qu’on ne fait que s’agiter. Enervé je ne sais pourquoi. Anouk m’en a parlé. M’a dit victor t’abuses un peu. Moi je suis prêt à avouer toutes mes fautes si je les trouve. Je m’excuse d’avance. J’ai des stratégies à dire mais trop incertains, et puis les gens me jugeront si je parle comme ça. France Insoumise. Alliance en répondant aux besoins des blancs. Tout ça c’est pas pur du tout. Et puis le féminisme, qu’il sorte de la femme comme séparée du reste. Qu’ils prennent en compte les religions, la famille, les hommes, aussi. Tout ces trucs sur le libre-choix. Mais c’est l’empuissantement qu’il faut. L’empuissantement d’un camp social contre l’ennemi, donc pourquoi ne pas se soucier des mecs en prison ? Faire semblant que ce sont les femmes indigènes qui souffrent le plus. Il faut prendre en compte tout. Et pourquoi je me suis énervé comme ça sur eux. Je n’en sais rien. Je les trouvais trop optimistes, et leurs manifs appelant à l’unité de classe inefficaces. Ils croient qu’en expliquant le racisme tout le monde va venir. J’ai honte parce que je suis pas convaincu de l’utilité de manifester. Et les façons de convaincre la population. Tout ça me semble souvent de l’agitation. Et pourtant je le fais quand même, parce qu’on a que ce moyen. Le ciel est bleu à ma fenêtre. Le mur est doré. Il faut que je fasse un petit livre pour ma famille. ça parlera de la Palestine mais pas que. On se dit souvent « je suis dans le groupe darmanin ». On veut dire « contre darmanin ». Moi ce que je sens là c’est qu’on est trop contre. On a que ça à faire que de protester contre, et on a pas de solutions pour sortir de ce racisme. Enfin on y réflechit pas et du coup on fait des manifs « darmanin ». On dit « il faut s’organiser », alors qu’on sait pas bien ce que ça veut dire. Si personne fait la grêve, si les blancs vont pas être convaincus par des petits slogans, à quoi sert-il de manifester. Pour l’honneur, pour donner du courage, oui, ça oui. Je reviens à pied. Il fait encore soleil. Bientôt la journée va s’écourter. C’est bientôt Noël. Je propose une idée : On peut aussi faire des faux cadeaux et quand on les ouvre il y a marqué dedans "La Palestine nous offre la fin de notre innocence. La Palestine nous offre la conscience. La Palestine nous offre sa beauté. La Palestine nous offre un devoir de solidarité" Et là un truc sur le génocide et la colonisation. aussi : ai vu un truc avec les sapins de noël, quelqu'un mettait un drapeau en haut d'un sapin, (bon il était accroché par des cordes et tiré par un hélico mais on peut faire une version à nous). Du genre "Noël la fête de tous les enfants, donc free palestine ». Noël j’aime bien, les guirlandes et tout. Mais j’peux pas saquer leurs marchés et leur chants de jazz guimauve. Je préfererais que ça soit très chrétien.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire